THRILLER: critique parue dans Rock & Folk (février 1983) Alors que Off The Wall est sorti dans l'indifférence générale en France (près de 30 000 exemplaires vendus à l'époque!), THRILLER s'apprête à connaître le même sort... Du moins dans l'esprit de certains.
MJ data bank vous propose de découvrir la toute première critique publiée en France sur THRILLER.
Février 1983: quelques semaines avant l'arrivée des vidéos de Billie Jean et de Beat It, le nouveau 33t de Michael Jackson fait figure de disque réussi mais forcément réservé à un public averti: sacrée France, toujours fière de son héritage rock, et insensible à la magie de la soul et du funk...
Voici un document intéressant à lire ou à relire... près de 100 millions de disques plus tard...
Michael Jackson: un futur collector pop
Rock & Folk - n° 193, février 1983
THRILLER
Epic EPC 85 930 (CBS)James White, vous connaissez? Vous vous êtes cassé les oreilles sur la pile de disques import où il triture son sax épileptique. Volonté bandée au maximum, il explore le funk à la recherche de la nuit où l'on ne dort pas, où la fatigue n'existe plus. Le même feeling hante la musique de Michael Jackson, à deux détails près: il vend des disques et chante mieux, bien mieux.
Depuis plus de dix ans, les frères Jackson règnent sur la musique noire outre-atlantique. La meute entière du soul, rap, disco, funk... court derrière eux, espérant récolter les miettes de leur magie.
Après avoir quitté Tamla-Motown pour Epic, abandonnant Jermaine à Berry Gordy pour ses efforts solo, ils empilent merveilles sur merveilles. Bien sur leur première escapade pour Epic sous la houlette de Kenneth Gamble et Leon Huff peut laisser sceptique. Aux maîtres de Philadelphie conviennent plutôt les voix mûres des O'Jays ou celle du Teddy Bear: Theodore Pendergrass. Pour les curieux, Enjoy Yourself, chez CBS dans sa collection Prix d'Ami, illustre cette période. Destiny a suivi en 78, puis Triumph en 80, le double Live en 81. Mais entre temps, en 79, Michael Jackson commit son LP solo Get Off The Wall (écrit tel quel dans l'article! - NDLR), avec Quincy Jones à la production. Sonnez trompettes, car ce LP atteint ces sommets très rares où l'on ne peut imaginer enlever ou ajouter quoi que ce soit à l'orchestration. Comme Otis avec les MG's, et la comparaison n'est pas osée. Bien sûr, les experts ricanent au nom de Quincy Jones. Première tare, il est vieux. Il travaillait en 59, déjà, avec Ray Charles. Deuxième honte, il aime le commercial, ses disques solo l'attestent. Troisième et dernière maladie, il vient du jazz. Quelle horreur...
Malheureusement pour ces tristes, Jones a trouvé ce son et ces mixages dingues capables de laisser leur empreinte sur une époque: la nôtre. En plus de ces prouesses techniques, la voix de Michael fait la différence. Car nous parlons ici de l'héritier direct des Otis Redding, Wilson Pickett, Joe Tex, Sam Moore. Mais là où les vaillants ancêtres martelaient chacune des syllabes de leur "sock it to me", Michael Jackson sprinte, glisse, noue les tripes d'un trémolo haut perché ou d'une phrase juvénile rageuse. Sur le vieil effet soul s'insinue une excitation neuve.
Mister Jones a pigé ce truc en 79. Destiny, il est vrai, montrait la voie. Il a sauté sur l'occase, flanqué du compositeur Rod Temperton. Ce dernier sévissait dans un groupe de funk anglais, Heatwave, où il écrivait des chansons honnêtes. Manquaient deux ingrédients de poids: les arrangements de Quincy Jones et les talents de chanteur/compositeur du Jackson. Car le petit prince compose aussi, et ses chansonnettes tiennent le coup face à celles des McCartney ou Stevie Wonder, mégalo stars au savoir-faire éprouvé.
Suite au jackpot de Get Off The Wall, le monde entier s'arrache le duo Temperton-Jones. George Benson devient monstrueux, Quincy Jones jette de l'épate avec son LP The Dude. La dernière à en profiter n'est autre que la bonne Donna Summer, le sex-symbol devenu dame patronnesse: son Love Is In Control a atteint la première place des charts US et l'a méritée, le reste de l'album rase les pâquerettes. Car le système nerveux de Michael fait défaut à ces pachidermes. James White, lui, peut piller Get Off The Wall. S'il n'a pas les moyens physiques et techniques du Jackson, sa folie et sa terreur blanche dopent son Don't Stop 'Til You get Enough. Les deux versions possèdent cette drôle de tension, cette urgence bizarre et unique.
Aujourd'hui, quatre ans après, arrive enfin la suite du Wall: Thriller. Toujours une histoire de nerfs. Van Halen, Dracula et McCartney s'affichent sur le même LP. Ce tas de frime mis à part, Thriller se pose comme le digne successeur de Get Off The Wall. Un seul morceau suffirait à justifier l'album: Billie Jean. Une rythmique d'acier, avec de la grande guitare du nommé Dean Parks. Mais ce n'est pas tout, car le Jackson aborde différents registres - d'où un certain manque d'unité qui différencie l'album de son monolithe de prédécesseur.
D'abord, la note hard de Beat It, avec Van Halen. Ce n'est pas la première fois que les Blackos fricotent avec le hard. Kurtis Blow, avec Taking Care Of Business, Ray Parker sur The Other Woman ont osé défier les visages pâles dans leur domaine roi: le hard. Ici, le résultat reste mitigé malgré les chapelets de notes du Van Halen de service.
Suit la note horreur de Thriller. Vincent Price, Mister D. lui-même, gazouille quelques mots horribles afin de précipiter la copine de Michael dans ses bras. Le grincement d'une porte fatale ouvre et ferme ce morceau sabbatique que la voix de Jackson ne peut exorciser.
Puis la note copinage. Macca lui avait écrit Girlfriend. Passez la boîte à superlatifs, siouplaît, merci. Michael rend la politesse avec The Girl Is Mine. Le vieux et le jeune se disputent la même fille. Une vraie mélodie pour un combat de coqs sympas.
Enfin, la note culturelle. et pas des moindres. Le premier titre de la première face, Wanna Start Something (
écrit tel quel dans l'article! - NDLR), louche du côté de l'Afrique de l'Ouest, vers Fela et ses frères. Le mélange parfait du fun US et des racines africaines. Eno et David Byrne doivent être en train d'étudier le spécimen.
Côté production, rien à dire: c'est parfait. Quincy Jones a oeuvré avec les mêmes musiciens (Phillinganes, Johnson, Porcaro) et le même compositeur (Temperton), sans oublier sa maestria au vestiaire. Ici comme au foot, on ne change pas une équipe gagnante.
Malheureusement, la pochette va encore en décourager beaucoup, et une première écoute hâtive appellera des verdicts sans appel: insignifiant, de la musique pour grande surface, faut pas se laisser impressionner par du travail de studio et un bon chanteur. D'accord, mais il n'en existe pas assez sur la planète pour se permettre de laisser passer celui-ci. Pendant ce temps, les foules prennent d'assaut les rayons disques des supermarchés, et un futur collector pop va peut-être vous échapper.
Marc Raturat
© 1983, Rock & Folk.
Source: Rock & Folk / MJ data bank / MJNIL du MJackson